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CHAPITRE XIII


À l’heure habituelle, dans les corridors de la prison, résonnèrent les sifflets des gardiens ; les portes de fer des salles s’ouvrirent, des bruits de pas se firent entendre, les corridors furent remplis de la puanteur des cuveaux portés à l’égout : prisonniers et prisonnières se vêtirent, furent passés en revue et, après la revue, s’assirent sur leurs lits pour boire leur thé.

Dans toutes les salles, ce jour-là, les conversations furent particulièrement animées : elles roulaient sur l’événement du jour, la bastonnade qui devait être donnée à deux prisonniers.

L’un de ces prisonniers était un jeune homme intelligent et instruit, un commis, nommé Vassiliev, condamné pour avoir tué sa maîtresse dans un accès de jalousie. Tous ses camarades de chambrée l’aimaient pour sa gaîté, sa libéralité, et pour la façon dont il savait tenir tête aux gardiens : car il connaissait à fond le règlement et n’admettait pas qu’on y manquât jamais. Aussi les gardiens et les surveillants, au contraire, ne pouvaient-ils pas le souffrir.

Trois semaines auparavant, un gardien avait frappé un des prisonniers qui, en passant, avait renversé de la soupe sur son uniforme neuf. Vassiliev était intervenu pour son camarade, disant que le règlement défendait de frapper les prisonniers. « Le règlement ? Je vais te l’apprendre, moi, le règlement ! » avait répondu le gardien ; et il s’était mis à injurier Vassiliev. Celui-ci avait répliqué sur le même ton, le gardien avait voulu le frapper, mais Vassiliev lui avait pris les deux mains, l’avait tenu ainsi quelques instants, puis l’avait repoussé hors