— Nous sommes pleins de respect pour les maîtres ; seulement la vie est dure, — reprit un autre paysan, un homme au visage épaté, avec une grande barbe.
— Je vous ai convoqués pour vous faire savoir que, si vous le voulez, je vous cède toutes mes terres ! — déclara Nekhludov.
Les paysans restèrent muets comme s’ils ne comprenaient pas les paroles du barine, ou ne pouvaient se décider à y croire. Enfin l’un d’eux s’enhardit à demander :
— Et de quelle façon, s’il vous plaît, nous céder les terres ?
— Je voudrais vous les louer, pour que vous puissiez les avoir à bon marché et en tirer profit.
— Bonne affaire ! — dit un vieux.
— Pourvu seulement que le prix soit dans nos moyens ! — dit un autre.
— Et pourquoi n’accepterions-nous pas la terre ?
— C’est notre métier ! c’est la terre qui nous nourrit !
— Tout cela est commode à dire ! Mais encore nous faudrait-il de l’argent pour payer ! — fit une voix.
— C’est votre faute si vous n’en avez pas ! — déclara l’Allemand. — Vous n’aviez qu’à travailler et à garder votre argent.
— Vous n’avez pas à nous accuser, Basile Carlitch ! — répondit un maigre paysan au nez pointu. — Vous nous demandez pourquoi ? « Pourquoi as-tu lâché ton cheval dans le blé ? » Et nous, nous travaillons, ou bien nous sommeillons après l’ouvrage, et le cheval se sauve dans le blé, et toi tu nous mets à l’amende, tu nous arraches la peau !
— C’est à vous d’avoir plus d’ordre.
— Cela vous est facile à dire, de l’ordre ! Mais nous ne pouvons pas faire plus que nous ne pouvons.
— Mais, je vous le dis toujours, mettez des barrières à vos champs !
— Et vous, donnez-nous du bois ! — dit un petit homme sec qui se cachait derrière un groupe ; — l’été passé, j’ai voulu faire une barrière, j’ai coupé un arbre, et vous m’avez envoyé, pendant trois mois, nourrir mes poux en prison ! Les voilà vos barrières !