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RÉSURRECTION

minskoïe, il voulait s’entendre avec les paysans pour la cession de ses terres : et il comptait, par la même occasion, recueillir tous les renseignements qu’il pourrait trouver au sujet de Katucha et de son enfant. Ce dernier était-il vraiment mort, ou sa mère ne l’avait-elle pas abandonné ?

Il arriva d’assez bonne heure au village où était la propriété. Il fut d’abord frappé de voir, en entrant dans la cour, l’état de délabrement de toutes les constructions, et en particulier de la vieille maison seigneuriale. Le toit de fer, autrefois peint en vert, avait rougi sous la rouille, et en plusieurs endroits le vent l’avait soulevé. Les planches qui recouvraient les murs avaient été dérobées sur beaucoup de points, évidemment dans les parties ou elles étaient les plus faciles à enlever ; et l’on voyait sortir du mur des gros clous tout rouillés. Les marches de bois et les auvents des deux perrons avaient pourri et s’étaient brisés ; un grand nombre de vitres, aux fenêtres, avaient été remplacées par des planches ; et tout, à l’intérieur, était sale et humide, depuis l’aile où demeurait l’économe jusqu’aux cuisines et aux écuries. Seul le jardin non seulement ne s’était pas délabré, mais au contraire avait poussé librement ; il était tout en fleurs. Derrière la clôture, comme de grands nuages blancs, Nekhludov voyait s’étaler les branches fleuries des cerisiers, des pommiers et des pruniers. Le bouquet de sureaux était en fleurs aussi, de la même façon qu’il l’était quatorze ans auparavant, lorsque Nekhludov, jouant aux courses avec la jeune Katucha devant ce bouquet, était tombé et s’était piqué aux orties du fossé. Un mélèze, planté près de la maison par Sophie Ivanovna, et que Nekhludov avait vu pousser, était maintenant devenu un grand arbre et avait pris un air ancien, tapissé du haut en bas d’une mousse verte et jaune. La rivière coulait librement, écumant avec bruit à l’écluse du moulin. Et dans la prairie, sur l’autre rive, paissait le troupeau commun du village.

L’économe, un séminariste manqué, s’avança en souriant au-devant de Nekhludov ; en souriant, il l’invita à entrer,