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RÉSURRECTION

quoi il s’agissait : mais ses réflexions se bornaient en quelques formules banales, sans doute rapportées de son service militaire, L’auditeur le plus sérieux du groupe était, à beaucoup près, un grand paysan avec un long nez et une petite barbe, vêtu d’une veste propre et ayant aux pieds des laptis neufs, Il comprenait tout et ne parlait que quand il avait quelque chose à dire.

Quant aux deux autres assistants, l’un d’eux était ce petit vieux sans dents qui, la veille, s’était montré plus opposé à toutes les propositions de Nekhludov ; l’autre était un homme de haute taille, tout blanc, avec de bons yeux. Tous deux, ce jour là, se taisaient, se contentant d’écouter avec grande attention.

Nekhludov commença par exposer ses idées sur la propriété territoriale.

— Je suis d’avis, — dit-il, — qu’on n’a le droit ni de vendre ni d’acheter la terre, parce que, si on en avait le droit, ceux qui ont de l’argent achèteraient toutes les terres et enlèveraient ainsi aux autres le moyen d’en profiter.

— Cela est bien vrai ! — dit, de sa profonde voix de basse, l’homme au long nez.

— Parfaitement ! — déclara l’ancien soldat.

— Ma vieille a pris un peu d’herbe pour nos vaches : on l’a empoignée, et ouste ! en prison ! — dit le bel esprit à la barbe blanche.

— La terre qu’on a est grande comme ce jardin ; et d’en louer d’autre, impossible ! — poursuivit-il. On a élevé les prix de telle façon qu’il n’y a pas à penser à regagner son argent.

— Oui ! — s’écria un autre, — on nous écorche comme on veut. C’est bien pis que du temps des défuntes demoiselles !

— Je pense comme vous sur tout cela ! — dit Nekhludov ; et je considère comme un péché de posséder la terre. Et c’est pour cela que j’ai résolu de me défaire de mes terres !

— Si la chose est possible, nous ne disons pas non ! — fit le vieillard à la barbe frisée, qui, évidemment,