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RÉSURRECTION

tante et sur Mitine, je n’ai rien répondu, et j’ai déclaré que je ne répondrais rien. Alors ce… Kirilov…

— Kirilov, c’est un gendarme, — fit la tante, s’adressant à Nekhludov.

— Alors ce Kirilov, — reprit Lydie en s’agitant et en soupirant, — se mit à me raisonner. « Tout le monde est sûr que vous parlerez ! » me dit-il. « Et cela ne pourra nuire à personne, au contraire. Si vous parlez, vous délivrerez des innocents qui, sans cela, risquent de souffrir injustement. » Mais moi, tout de même, je n’ai rien dit. Alors il m’a dit : « Eh bien ! soit, ne dites rien, mais au moins ne niez pas ce que je dirai ! » Et il s’est mis à citer des noms, et il a cité le nom de Mitine. Et figurez-vous que, le lendemain, j’apprends que Mitine est pris ! « Voilà, — me dis-je, — c’est moi qui l’ai livré ! » Et cette pensée m’a tellement torturée, tellement torturée, que j’ai bien cru que je deviendrais folle.

— Mais c’est prouvé, que tu n’es pour rien dans son arrestation ! — dit la tante.

— Oui, mais moi je ne le savais pas. Et toujours je pensais : je l’ai livré ! J’allais de long en large, dans la cellule, et je pensais : je l’ai livré ! je l’ai livré ! Je me couchais, je me couvrais la tête, et une voix me criait à l’oreille : tu l’as livré ! tu as livré Mitine ! Et j’avais beau savoir que c’était de l’imagination, impossible de ne pas écouter. C’était affreux ! — s’écria Lydie, de plus en plus animée, tout en continuant à enrouler autour de son doigt et puis à dérouler une boucle de ses cheveux blonds.

— Lydotchka, calme-toi ! — répétait la mère, en lui touchant le bras.

Mais Lydotchka ne parvenait pas à se calmer.

— Et ce qu’il y a de plus affreux… — commença-t-elle.

Elle poussa un soupir, se leva du divan sans achever sa phrase, et s’enfuit hors de la chambre. Sa mère la suivit.

— Pour les jeunes gens, cet emprisonnement cellulaire est une chose terrible, — dit la tante, en allumant une cigarette.