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Page:Tolstoï - Religion et morale.djvu/46

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et païenne à la fois ne peut prouver à l’homme qu’il est plus raisonnable, plus avantageux pour lui de vivre non pas en vue de son bien personnel ou dans l’intérêt de celui de sa famille, de sa société, ce qui est à ses efforts un but désirable, concevable et possible, mais pour le bien d’autrui, c’est-à-dire pour un but qui n’éveille pas son désir, qu’il ne comprend pas et qui est hors de portée étant données les misérables ressources dont il dispose. Basée sur une conception de la vie dont le résumé est le bien personnel, la philosophie ne sera jamais en mesure de prouver à un homme intelligent, pour lequel la mort, il le sait, peut venir à chaque instant, qu’il lui est bon, qu’il est de son devoir de renoncer à ce qui est si indubitablement, si évidemment pour son bien, à ce qui est si désirable, et cela non pas même pour le bien d’un homme (car il ne pourra jamais connaître les suites de son sacrifice), mais parce que tel est le devoir, parce qu’il est bon qu’il en soit ainsi, parce que l’impératif catégorique l’exige.

Du point de vue de la philosophie païenne, c’est là quelque chose d’impossible à prouver. Pour prouver que tous les hommes sont égaux, qu’il vaut mieux consacrer sa vie au service du prochain que de se faire servir par lui sans égard aux vies que l’on foulera aux pieds, — il faut donner du rapport de l’homme et de l’univers une définition autre que celle de la