Page:Tolstoï - Scenes de la vie russe.djvu/51

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demain, j’allai la voir, elle était déjà roide et glacée. Dans les convulsions de l’agonie, la pauvre mère s’était abattue sur l’une des pauvres petites, et lui avait écrasé le pied ; l’enfant en resta estropiée.

« Je courus appeler les voisins ; on s’empressa autour de la morte, on lui lava le corps, on l’habilla, puis on commanda le cercueil ; les voisins étaient tous de braves gens, on y pourvut à frais communs.

« Mais que faire des nouveau-nés ? Comme j’étais la seule qui eût un nourrisson, — mon unique, il avait huit semaines, — c’était à moi d’en prendre soin. Les voisins, après s’être consultés, me dirent :

— « Maria, garde les deux petits êtres en attendant qu’on voie ce qu’il faudra faire.

« Je soignai premièrement l’enfant bien portant ; l’autre semblait devoir mourir aussi, et je voulais l’abandonner. Pourtant mon cœur me disait en silence : Pourquoi ce petit ange ne vivrait-il pas aussi ? La pitié me saisit, je mis l’enfant chétif au sein ; il vécut, et j’eus ainsi trois enfants à nourrir. J’étais jeune et robuste, je ne man-