Page:Tolstoï - Scenes de la vie russe.djvu/52

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quais de rien, et le bon Dieu fit abonder le lait dans ma poitrine. Pendant que j’en allaitais deux, le troisième attendait son tour. Alors Dieu m’envoya une terrible épreuve. Pendant que j’élevais les enfants d’une autre, il jugea bon de me reprendre le mien. Il avait deux ans, et je n’en ai pas eu d’autre depuis. Sauf ce chagrin, tout prospérait à la maison. Nous sommes venus depuis nous établir près d’ici, nous dirigeons un moulin pour le compte d’un autre, nous gagnons un bon salaire et nous menons une vie aisée. N’ayant plus d’enfant à nous, quelle existence serait la nôtre, sans ces deux petits chérubins ! Dieu ! comment ne les aimerais-je pas, ces amours ? C’est toute ma vie. »

Et la bonne femme, que l’émotion gagnait, pressa avec passion la petite infirme contre son cœur, en essuyant, de la main restée libre, les larmes qui perlaient à ses yeux.

Matréma soupira, toute pensive, et ajouta :

— Le proverbe dit vrai : « Père et mère ne sont rien, quand c’est la volonté de Dieu ! »

Les deux femmes causaient encore, lorsque