Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/120

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— Vous pouvez me renvoyer, on n’en pleurera pas, » marmotta Gacha entre ses dents.

Le docteur recommença ses clignements d’yeux, mais Gacha tourna vers lui un visage si courroucé et si décidé, qu’il se hâta de faire le plongeon avec sa tête et se mit à jouer avec sa clef de montre.

« Vous voyez, mon cher, dit grand’mère en s’adressant à papa après que Gacha eut quitté la chambre en continuant à grommeler, comment on me traite dans ma propre maison.

— Permettez, maman, je vous râperai du tabac moi-même, dit papa, que cette apostrophe inattendue parut embarrasser beaucoup.

— Non, je vous remercie. Elle n’est si malhonnête que parce qu’elle sait bien qu’il n’y a qu’elle qui sache râper mon tabac à mon goût… Vous savez, mon cher, continua grand’mère après une petite pause, que vos enfants ont manqué mettre le feu à la maison ? »

Papa la regarda avec une expression de curiosité respectueuse.

« Oui, voilà avec quoi ils jouent. Montrez, » ajouta-t-elle en se tournant vers Mimi.

Papa prit le papier et ne put s’empêcher de sourire.

« Mais, maman, c’est du petit plomb, dit-il ; ce n’est pas du tout dangereux.

— Je vous suis très reconnaissante, mon cher, de me donner des leçons ; mais je suis trop vieille…

— Les nerfs ! les nerfs ! » murmura le docteur. Papa se tourna aussitôt vers nous :

« Où avez-vous pris ça ? Comment osez-vous plaisanter avec ces choses-là ?

— Inutile de les interroger ; mais il faut prier leur menin de les surveiller, dit grand’mère en appuyant avec une inflexion de voix méprisante sur le mot menin.

— Volodia dit que c’est Karl Ivanovitch qui lui a donné cette poudre, intervint Mimi.