Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XXXVIII

ADOLESCENCE


On aura peine à me croire lorsque je dirai quels étaient mes sujets de réflexion favoris à l’époque de mon adolescence, tant ils étaient peu en rapport avec mon âge et ma manière d’être. Mais, à mon sens, le contraste entre mon apparence extérieure et mon activité morale sera précisément le meilleur signe que je fais un portrait fidèle.

Pendant toute une année, je vécus dans un isolement moral absolu, enfoncé en moi-même. Les questions abstruses de la destinée humaine, de la vie future et de l’immortalité de l’âme se présentaient déjà à moi, et ma débile intelligence d’enfant travaillait avec toute l’ardeur de l’inexpérience à éclaircir ces grands problèmes que le génie humain, dans ses plus grands efforts, arrive seulement à poser sans parvenir à les résoudre.

Il me semble que chaque individu, dans son développement intellectuel, repasse par les mêmes routes qui ont été suivies par les générations successives, que les idées formant le fondement des diverses théories philosophiques font partie intégrante de l’esprit humain, et que chaque homme en a eu conscience plus ou moins nettement, avant même de savoir qu’il existait des théories philosophiques.

Ces réflexions s’imposaient à mon esprit avec tant de force et de vivacité, que je cherchais à les appliquer à la vie, me figurant que j’avais découvert le premier des vérités si importantes et si utiles.

Un jour, il me vint à la pensée que le bonheur ne dépend pas des événements extérieurs, mais de la façon dont nous les prenons ; qu’un homme accoutumé à supporter la douleur ne peut pas être malheureux. Et, afin de m’accoutumer à la peine, je m’exerçais, malgré des douleurs