atroces, à tenir un dictionnaire à bras tendu pendant cinq minutes, ou bien je m’en allais dans le grenier, je prenais des cordes et je me donnais la discipline sur mon dos nu avec tant de vigueur que les larmes me jaillissaient involontairement des yeux.
Une autre fois, réfléchissant tout à coup que la mort nous guette à toutes les heures, à toutes les minutes de notre vie, je décidai que l’homme ne pouvait être heureux qu’à la seule condition de jouir du présent et de ne pas songer à l’avenir ; je ne concevais pas comment on n’avait pas encore compris cela. Et pendant trois jours, sous l’influence de cette idée, je plantai là mes leçons et passai mon temps étendu sur mon lit, m’amusant à lire un roman ou à manger du pain d’épice acheté avec le reste de mon argent.
Une autre fois encore, j’étais debout devant le tableau noir et je traçais des figures de géométrie avec de la craie. Je fus subitement frappé par cette idée : Pourquoi la symétrie est-elle agréable à l’œil ? Qu’est-ce que la symétrie ? Je me répondis : C’est un sentiment inné. Mais sur quoi est-il fondé ? Est-ce que, dans la vie, tout est symétrique ? Au contraire ; voici la vie (je traçai un ovale). À la mort, l’âme passe dans l’éternité ; voilà l’éternité (je menai une ligne de l’ovale au bord du tableau). Pourquoi n’y a-t-il pas une ligne semblable de l’autre côté de la figure ? Et, en effet, qu’est-ce qu’une éternité qui commence ? Nous avons certainement existé avant cette vie, bien que nous en ayons perdu le souvenir.
Ce raisonnement, dont j’ai aujourd’hui de la peine à retrouver le fil, me paraissait alors tout à fait neuf et clair. Il me plut tant que je résolus de l’exprimer par écrit. Je pris une feuille de papier. Il me vint aussitôt une telle abondance d’idées que je dus me lever et marcher par la chambre. En approchant de la fenêtre, mon attention fut attirée par le cheval du tonneau à eau, que le cocher était en train d’atteler, et toutes mes pensées se