Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/169

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son trouble, l’épaule toujours secouée par son tic, il se dirigea vers la porte du corridor qui conduisait chez Volodia.

« Voldemar ! es-tu bientôt prêt ? » cria-t-il en s’arrêtant au milieu du corridor. Au même instant, Macha, la femme de chambre, passait. En voyant le barine, elle baissa la tête et voulut faire un détour. Il l’arrêta. « Tu es tous les jours plus jolie, » dit-il en se penchant vers elle.

Macha rougit et baissa encore plus la tête. « Permettez, murmura-t-elle.

— Voldemar, es-tu bientôt prêt ? » répéta papa en secouant son épaule et en toussaillant : Macha passait devant lui et il m’avait aperçu…

J’aime mon père, mais la raison est indépendante du cœur, et elle suggère souvent à l’homme des idées qui froissent ses sentiments, des idées incompréhensibles et cruelles pour le cœur. J’ai beau m’efforcer de les écarter, il me vient des idées de ce genre…


XLII

GRAND’MÈRE


Grand’mère s’affaiblit de jour en jour. C’est de plus en plus souvent dans sa chambre qu’on entend sa sonnette, la voix grondeuse de Gacha et les bruits de portes qu’on frappe. Elle ne nous reçoit plus dans son cabinet, assise dans le fauteuil voltaire ; elle nous reçoit dans son lit haut, sur ses oreillers de dentelles. En lui disant bonjour, je remarque sur sa main une enflure luisante, d’un blanc jaunâtre, et je sens dans la chambre la même odeur lourde que j’avais sentie cinq ans auparavant dans la chambre de maman. Le médecin vient trois fois par jour et il y a eu plusieurs consultations. Mais le caractère de grand’mère n’a pas changé : elle est toujours hautaine et cérémonieuse avec toutes les personnes de la maison, en