Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Toutes ces pensées traversaient ma tête. Je ne bougeais pas et je regardais fixement les rubans de mes souliers.

Papa échangea quelques mots avec Karl Ivanovitch sur le baromètre, qui avait baissé. Il recommanda à Iacof de ne pas donner à manger aux chiens, parce qu’il voulait sortir une dernière fois, après le dîner, avec les jeunes chien courants, et il nous envoya travailler, contre mon attente ; cependant il nous promit, pour nous consoler, de nous emmener à la chasse.

En reprenant le chemin du premier étage, je m’échappai un instant, en courant, sur la terrasse. Milka, le lévrier favori de papa, était couché au soleil, devant la porte, les yeux à demi fermés.

« Mon petit Milka, lui dis-je en le caressant et en lui embrassant le museau, nous partons. Adieu ! Nous ne nous reverrons plus jamais. »

Je m’attendris et fondis en larmes.


IV

EN CLASSE


Karl Ivanovitch était de très mauvaise humeur. On s’en apercevait à ses sourcils froncés, à la manière dont il flanqua son habit sur la commode, à l’air furieux avec lequel il noua la ceinture de sa robe de chambre et fit une grosse marque d’ongle sur le livre de dialogues allemands, pour indiquer jusqu’où nous devions aller. Volodia apprit passablement sa leçon ; moi, j’étais trop troublé pour travailler. Je regardais mon livre de dialogues, mais mon esprit était absent et les larmes qui m’emplissaient les yeux à l’idée du départ m’empêchaient de lire. Vint l’heure de réciter ma leçon à Karl Ivanovitch, qui ferma les yeux pour écouter (c’était mauvais signe). Quand je fus à