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JEUNESSE



XLVI

OÙ JE FAIS COMMENCER MA JEUNESSE


J’ai dit que ma liaison avec Dmitri m’avait ouvert de nouveaux points de vue sur la vie, son but et notre place dans l’ensemble des choses. Le fond de cette nouvelle manière de voir était la conviction que la destinée de l’homme est de tendre au progrès moral et que ce progrès est possible, facile et indéfini. Je me bornais néanmoins, pour le moment, à jouir des idées nouvelles découlant de cette conviction et à former des plans de vertu magnifiques pour l’avenir. Du reste, il n’y avait rien de changé à ma vie ; elle s’écoulait toujours dans les futilités et le désœuvrement.

Les pensées vertueuses que j’échangeais, dans nos conversations, avec mon ami adoré, « cet étonnant Dmitri », comme je me disais alors à demi-voix, n’avaient encore séduit que mon esprit ; je ne m’en étais pas encore emparé par le sentiment. Il vint un moment où elles s’imposèrent à moi avec une force nouvelle et m’apparurent comme une révélation morale, tellement que je fus effrayé en songeant au temps perdu et que je résolus de faire à l’instant même, sans perdre une seconde, l’application de mes