Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/182

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semaine de la Quasimodo. Je fus donc obligé de mener de front, pendant la semaine sainte, la préparation de mes examens et la préparation à la communion.

Le dégel était fini. Nous étions sortis de la période dont Karl Ivanovitch disait : « Le fils vient après le père. » Depuis trois jours déjà, le temps était doux, tiède et clair. On ne voyait plus trace de neige dans les rues. À la boue épaisse avaient succédé un pavé humide et luisant et des ruisseaux rapides. Les dernières gouttes d’eau brillaient au soleil sur le toit, les bourgeons des arbres de l’enclos se gonflaient, un petit sentier sec conduisait à l’écurie en passant devant le tas de fumier encore gelé, des brins d’herbe verdissaient entre les pierres, autour du perron. On était au moment, où le printemps agit le plus fortement sur l’âme humaine : un soleil brillant, mais sans beaucoup de force, illumine tout ; la neige fondue a laissé des flaques et de petits ruisseaux ; l’air sent la fraîcheur, et le ciel d’un bleu tendre est semé de nuages allongés et transparents. Je ne sais pourquoi, mais il me semble que l’impression produite par cette naissance du printemps est encore plus vive et plus profonde dans une grande ville — on voit moins, mais on devine davantage.

J’étais debout près de la croisée, occupé à résoudre sur le tableau noir une longue équation. Le soleil matinal envoyait à travers les doubles fenêtres, sur le plancher de la classe, des rayons où voltigeait de la poussière. Cette classe me paraissait ennuyeuse à mourir. Je tenais dans une main une Algèbre brochée et déchirée de Francœur, dans l’autre un petit morceau de craie avec lequel j’avais déjà blanchi mes deux mains, ma figure et les manches de ma veste. Kolia, en tablier et les manches retroussées, enlevait le mastic de la fenêtre donnant sur l’enclos et redressait les clous avec des tenailles. Son travail et son bruit me donnaient des distractions. Ajoutez à cela que j’étais de très mauvaise humeur. Tout allait de travers : je m’étais