Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/183

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trompé au commencement de mon calcul, de sorte qu’il fallait tout recommencer ; j’avais laissé tomber ma craie deux fois ; je sentais que j’avais la figure et les mains sales ; j’avais perdu mon éponge ; le bruit de Kolia me portait sur les nerfs. J’avais besoin de me fâcher et de grogner. Je jetai ma craie et mon livre et me mis à arpenter la chambre. Mais je me rappelai que nous devions nous confesser dans la journée et qu’il fallait s’abstenir de tout ce qui est mal ; je devins tout à coup d’une humeur spéciale, toute bénigne, et je m’approchai de Kolia.

« Attends, Kolia, je vais t’aider, » dis-je en m’efforçant de prendre une voix très douce ; l’idée que j’agissais bien en surmontant mon irritation et en aidant Kolia avait encore augmenté ma douceur.

Le mastic était enlevé, les clous redressés, mais Kolia avait beau tirer de toutes ses forces, le châssis ne bougeait pas.

« Si le châssis sort tout d’un coup, quand je tirerai avec lui, dis-je en moi-même, cela voudra dire péché, et qu’il ne faut plus travailler aujourd’hui. » Le châssis glissa de côté et sortit.

« Où faut-il le porter ? demandai-je.

— Je le rangerai moi-même, répondit Kolia visiblement étonné et, à ce qu’il me sembla, contrarié de mon zèle. Il ne faut pas les mêler, je leur mets des numéros dans le grenier.

— Je le marquerai, » dis-je en prenant le châssis.

Je crois que si le grenier avait été à deux verstes de là et le châssis deux fois plus lourd, j’en aurais été enchanté. J’aurais voulu m’exténuer de fatigue en rendant ce service à Kolia. Quand je rentrai dans la classe, les petites briques et les petites pyramides de sel étaient déjà arrangées sur l’appui de la fenêtre et Kolia balayait avec une aile d’oiseau, par la fenêtre ouverte, le sable et les mouches endormies. L’air frais et parfumé était déjà entré dans la chambre et la remplissait. On entendait par