Les bavardages de Mimi, de Saint-Jérôme et des filles m’avaient inspiré, pendant un temps, un mépris profond que je ne cherchais pas à cacher, surtout en ce qui concernait ma sœur et Catherine : c’étaient des commérages sur les vilaines bottes du maître de russe, sur les robes à volants des princesses Kornakof et autres sujets du même intérêt. Aujourd’hui, leurs caquets ne parvenaient pas à me faire sortir de ma disposition d’esprit vertueuse. J’étais d’une douceur rare. Je souriais, j’écoutais d’un air aimable, je demandais poliment de me passer le kvass, je donnais raison à Saint-Jérôme quand il me reprenait à table sous prétexte que « je puis » est plus élégant en français que « je peux ». Je dois cependant avouer qu’il me fut un peu désagréable que personne n’eût l’air de remarquer ma douceur et ma vertu.
Après le dîner, Lioubotchka me montra un papier sur lequel elle avait inscrit tous ses péchés. Je trouvai que l’idée était excellente, mais qu’il valait encore mieux inscrire ses péchés dans son âme et que « tout ça n’était pas ça ».
« Pourquoi, pas ça ? me demanda Lioubotchka.
— C’est une bonne idée, mais… Tu ne me comprendrais pas…… »
Je montai dans ma chambre en disant à Saint-Jérôme que j’allais travailler. En réalité, je voulais profiter de ce qu’il me restait encore une heure et demie avant l’arrivée de notre confesseur pour dresser la liste des choses que j’aurais à faire et des devoirs que j’aurais à remplir jusqu’au jour de ma mort, et pour mettre par écrit le but de ma vie, ainsi que les règles de conduite dont je comptais ne plus jamais m’écarter.