« Allons, à toi, Lioubotchka, et fais bien attention de tout dire. Tu es une grande pécheresse, » dit gaiement papa en lui pinçant la joue.
Lioubotchka pâlit et rougit, tira son papier de la poche de son tablier, le remit, baissa la tête en la rentrant dans ses épaules comme si elle s’attendait à recevoir un coup, et sortit. Elle ne fut pas longtemps ; lorsqu’elle revint, tout son buste était secoué par les sanglots.
Après la jolie Catherine, qui souriait en rentrant, ce fut mon tour. Je passai dans la chambre semi-obscure, possédé de la même frayeur sourde et de la même envie d’augmenter à dessein cette frayeur. Le moine était debout devant le pupitre et il tourna lentement sa face vers moi.
Je ne restai pas plus de cinq minutes dans la chambre de grand’mère. J’en sortis heureux et, à ce que je croyais alors, complètement purifié et régénéré, dépouillé du vieil homme. Il m’était désagréable que la mise en scène de la vie fût demeurée la même, de revoir les mêmes chambres, les mêmes meubles, de me retrouver la même figure ; j’aurais voulu que tout ce qui était extérieur se métamorphosât comme avait été métamorphosé, à ce que je me figurais, l’intérieur de moi-même ; néanmoins je conservai mon bien-être moral jusqu’au moment de me mettre dans mon lit.
J’étais déjà à moitié endormi et je repassais dans ma tête tous les péchés dont je m’étais purifié, lorsque, brusquement, il me revint à l’esprit un gros péché dont je ne m’étais pas confessé. Les mots de la prière qui précède la confession me résonnèrent indéfiniment aux oreilles et toute ma tranquillité s’envola. J’entendais encore et toujours : « Mais si vous cachez quelque chose, vous serez chargé d’un grand péché…, » et je me voyais devenu un si grand pécheur, qu’il n’y avait pas de punition égale à ma faute. Pendant longtemps je me retournai dans mon lit, réfléchissant à ma situation et m’attendant à recevoir la punition