Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/199

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au couvent. Au moment où j’allais monter, les idées lui revinrent ; il fouetta son cheval avec l’extrémité des rênes et partit en marmottant : « Pas possible, barine ! il faut que je fasse manger mon cheval. »

J’eus de la peine à le faire arrêter en lui offrant 40 copecks de plus. Il finit par se décider, me regarda attentivement et dit : « Monte, barine. » J’avoue que j’avais un peu peur qu’il ne me conduisît dans un endroit désert pour me dévaliser. Me retenant d’une main au col de son armiak déguenillé, je grimpai à côté de lui sur le siège bleuâtre et branlant. Mon geste découvrit son pauvre vieux cou ridé, qui avait un air piteux sur son dos tout voûté. Nous partîmes en cahotant. Je remarquai en route que le dossier du siège était raccommodé avec un morceau d’étoffe verdâtre et à raies, pareille à l’armiak du cocher. Cette circonstance me rassura, je ne sais pourquoi, et je cessai d’avoir peur qu’il ne m’emmenât dans un endroit désert pour me dévaliser.

Quand nous arrivâmes au couvent, le soleil était déjà assez haut et dorait les coupoles de l’église. Il y avait encore de la gelée blanche à l’ombre, mais sur toute la route coulaient de petits filets d’eau trouble et le cheval faisait jaillir en éclaboussures la boue amollie. Franchissant l’enceinte du monastère, je demandai à la première personne que je rencontrai comment je pourrais trouver notre confesseur.

« Voici sa cellule, dit un jeune moine qui passait, en s’arrêtant un instant et en me montrant une toute petite maison avec un petit perron.

— Je vous remercie infiniment. »

Que devaient penser de moi les moines, qui sortaient en ce moment à la file de l’église et qui me regardaient tous ? Je n’étais plus un enfant, je n’étais pas encore un homme. Je n’étais ni débarbouillé ni peigné ; mes vêtements étaient en désordre, mes bottes non cirées et, par-dessus le marché, pleines de boue. À quelle classe de la