Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/218

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c’était très drôle. Je commençais à saisir le procédé et je voulus aussi raconter quelque chose de drôle, mais les autres eurent l’air embarrassés tandis que je parlais, ils détournèrent les yeux et mon histoire ne sortit pas. Doubkof déclara que « le diplomate divaguait », mais le Champagne et la société des grands m’avaient mis dans un état si agréable, que je ressentis à peine cette remarque. Le seul Dmitri ne se déridait pas, bien qu’il eût bu autant que nous, et son air rébarbatif comprimait un peu la gaieté générale.

« Écoutez, messieurs, dit Doubkof ; après dîner, il faut nous charger du diplomate. Emmenons-le chez la tante.

— Nékhlioudof ne voudra pas venir, dit Volodia.

— Tu es insupportable, avec ta bonasserie ! tu es insupportable ! fit Doubkof en s’adressant à Dmitri. Allons ensemble, tu verras quelle excellente dame est la tante.

— Non seulement je n’irai pas, mais je lui défends d’y aller, répondit Dmitri en rougissant.

— À qui ? au diplomate ? Tu veux bien, toi, diplomate ? Regarde sa figure, il s’est épanoui dès qu’on a parlé de la tante.

— Je ne le lui défends pas, poursuivit Dmitri en se levant et en marchant de long en large sans me regarder ; mais je l’engage à ne pas y aller, je l’en prie. Ce n’est plus un enfant et, s’il en a envie, il peut y aller seul, sans vous. Tu devrais avoir honte, Doubkof ; parce que tu fais mal, tu voudrais entraîner les autres.

— Qu’y a-t-il de mal, dit Doubkof en faisant signe de l’œil à Volodia, à vous inviter tous à venir prendre une tasse de thé chez la tante ? Si cela te déplaît, tu n’as qu’à ne pas venir. J’irai avec Volodia. Tu viens, Volodia ?

— Hem ! hem ! fit Volodia d’un ton affirmatif. Allons, et en revenant nous irons chez moi finir notre piquet.

— Voyons, veux-tu aller avec eux, oui ou non ? dit Dmitri en s’approchant de moi.

— Non, répliquai-je en me poussant sur le divan pour