Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/241

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que finira…… je veux dire, est-ce que vous causez ensemble de ce qui arrivera et de la manière dont finira votre passion, ou amitié ?

— Tu demandes si je songe à l’épouser ? » fit-il en rougissant de nouveau et en se tournant de nouveau vers moi, pour me regarder en face.

« Eh bien ! voilà, pensais-je, tandis que l’apaisement se faisait en moi ; nous sommes grands garçons et amis, nous causons ensemble, dans un phaéton, de notre avenir. Il serait agréable à n’importe qui, en ce moment, de nous écouter à la dérobée et de nous regarder. »

« Pourquoi pas ? poursuivit-il sur ma réponse affirmative. Mon but, comme pour tout homme raisonnable, est d’être, autant que possible, heureux et bon. Avec elle — si elle y consent, — quand je serai tout à fait indépendant —, je serai plus heureux et meilleur qu’avec la plus grande beauté du monde. »

Pendant ces entretiens, nous ne faisions pas attention que nous approchions de Kountsof, ni que le ciel se couvrait et que la pluie menaçait. Le soleil était déjà bas et la moitié de son disque rouge était cachée, sur notre droite, par un nuage gris presque opaque, juste au-dessus des grands arbres des jardins de Kountsof. De l’autre moitié du disque s’échappaient des fragments de rayons enflammés, inondant d’une chaude lumière les masses épaisses et immobiles des vieux arbres, qui se détachaient en vert sur la partie du ciel demeurée bleue et lumineuse. L’éclat et les teintes de cette partie du ciel formaient un contraste violent avec le gros nuage lilas posé en face de nous sur les jeunes boulassières fermant l’horizon.

Un peu plus à droite encore, on apercevait derrière les buissons et les arbres les tuiles de différentes couleurs des maisons de campagne. Parmi ces tuiles, les unes répercutaient les rayons éblouissants du soleil, les autres avaient l’aspect morne de la partie sombre du ciel. Dans un creux à gauche bleuissait un étang immobile entouré de cytises