Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/261

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Nous nous couchâmes et Phoca s’en alla après nous avoir souhaité une bonne nuit.

« C’est dans cette chambre que maman est morte ? » dit Volodia.

Je fis semblant de dormir et ne répondis pas. Si j’avais parlé, j’aurais fondu en larmes.

Quand je m’éveillai, le lendemain matin, papa, en robe de chambre et bottes brodées, un cigare à la bouche, était assis sur le lit de Volodia, avec qui il plaisantait et riait. En me voyant ouvrir les yeux, il se leva lestement, son tic dans l’épaule, mais un tic gai, me donna une claque dans le dos avec sa grande main et approcha sa joue de mes lèvres.

« À merveille ! Je te remercie, diplomate, dit-il avec la caresse un peu railleuse qui lui était habituelle et en fixant sur moi ses petits yeux brillants. Volodia dit que tu as bien passé tes examens, mon coquin : c’est parfait. Tu ne veux pas, toi non plus, devenir un propre à rien ; tu seras, toi aussi, un brave garçon. Merci, mon ami. À présent, nous allons avoir du bon temps ici, et, l’hiver prochain, il est possible que nous allions à Pétersbourg. Malheureusement, c’est fini pour la chasse : sans quoi je vous aurais procuré du plaisir. Tu pourras tout de même te promener avec ton fusil, Volodia ? Il y a du gibier en masse et j’irai de temps en temps avec toi. Cet hiver, s’il plaît à Dieu, nous irons à Pétersbourg ; vous verrez du monde, vous vous ferez des relations. Vous voilà grands, à présent. Comme je le disais tout à l’heure à Volodia, ma tâche est terminée. Vous voilà en route ; vous pouvez marcher tout seuls. Quand vous voudrez, vous viendrez me demander conseil, vous confesser. Je ne suis plus pour vous qu’un ami. Mais je veux rester votre ami, votre camarade, vous donner de bons avis quand je le pourrai…, et rien de plus. Qu’en pense ta philosophie, Coco ? Hein ? Est-ce bien ou est-ce mal ? Hein ? »

Il va de soi que je répondis que c’était parfait, et je le