Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/42

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futiles s’agitaient dans ma tête. Je me posais des questions : « Lequel des postillons ira avec la britchka, lequel avec la calèche ? Qui de nous sera avec papa, qui avec Karl Ivanovitch ? Pourquoi est-ce qu’on veut absolument m’envelopper dans un cache-nez et un cafetan ouaté ? Est-ce qu’on me croit délicat ? Bien sûr, je ne gèlerai pas. Je voudrais que tout ça fût fini…, monter en voiture et partir. »

Nathalie Savichna entra dans le salon, les yeux gros et rouges et un papier à la main.

« À qui madame veut-elle que je donne la liste du linge des enfants ? demanda-t-elle à maman.

— Donne-la à Kolia et venez tous dire adieu aux enfants. »

La vieille voulut dire quelque chose, mais elle ne put parler. Elle cacha son visage avec son mouchoir, agita la main et sortit. Cela me fit de l’effet et mon cœur se serra un peu ; néanmoins l’impatience de partir l’emportait, et je continuai à écouter avec une indifférence parfaite la conversation de mes parents. Ils parlaient de choses qui ne les intéressaient évidemment ni l’un ni l’autre : ce qu’il faudrait acheter pour la maison, ce qu’il fallait dire à la princesse Sophie et à Mme Julie, si la route était bonne.

Phoca parut à la porte et exactement du même ton dont il annonçait : « Le dîner est servi, » il annonça : « Les voitures sont prêtes. » Je remarquai que maman frissonna et pâlit, comme si elle ne s’était pas attendue à cette nouvelle.

On dit à Phoca de fermer toutes les portes. Je trouvai cela très amusant : on aurait dit que nous nous cachions tous de quelqu’un.

On s’assit. Phoca fit comme les autres, mais sur un coin de chaise. Au même instant la porte cria et tout le monde tourna la tête. Nathalie Savichna entra précipitamment et alla s’asseoir, sans lever les yeux, sur la même chaise que Phoca, à côté de la porte. Je vois encore la