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Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/86

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que tes affaires ne vont pas bien cet hiver et que tu seras forcé de prendre l’argent de Khabarovka. Comment peux-tu m’en demander la permission ! Cela m’a paru tout singulier. Est-ce que ce qui est à moi n’est pas à toi ?

« Tu es si bon, cher ami, que tu me caches la situation de tes affaires de peur de me faire de la peine ; mais je devine que tu as beaucoup perdu au jeu et je te jure que je ne t’en veux pas du tout. Pourvu que les choses puissent s’arranger, n’y pense pas, je t’en supplie, et ne te tourmente pas inutilement. Je suis habituée à ne pas compter pour les enfants sur tes gains ni même (ne m’en veuille pas) sur ta fortune. Je n’ai pas plus de plaisir quand tu gagnes que je ne suis fâchée quand tu perds. Je ne suis fâchée que de ta malheureuse passion pour le jeu, qui me vole une partie de ton cœur et m’oblige à te dire des vérités dures, comme en ce moment ; Dieu sait pourtant si cela m’est douloureux ! Je ne Lui demande qu’une chose, c’est de nous préserver… non pas de la pauvreté (qu’est-ce que la pauvreté ?), mais de cette situation terrible où les intérêts des enfants, que je devrai défendre, seront opposés aux nôtres. Jusqu’à présent Dieu m’a exaucée. Tu n’as pas dépassé la limite au-delà de laquelle nous serions contraints, soit de sacrifier une fortune qui n’est pas à nous, mais à nos enfants, soit de… C’est affreux rien que d’y penser, et ce terrible malheur nous menace toujours. Quelle lourde croix le Seigneur nous a donnée là à porter !

« Tu me reparles dans ta lettre des enfants et tu reviens à notre vieille querelle : tu me demandes de consentir à ce que tu les mettes en pension. Tu connais mes préventions contre les pensions.

« J’ignore, cher ami, si tu m’accorderas ma prière ; mais je te supplie, au nom de ton affection pour moi, de me promettre que jamais, ni pendant ma vie, ni après ma mort si Dieu nous sépare, tu ne feras cela.

« Tu m’écris que tu ne pourras pas te dispenser d’aller