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Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/87

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à Pétersbourg pour nos affaires. Le Seigneur soit avec toi, mon ami ! Pars, et reviens le plus tôt possible. Nous nous ennuyons tant sans toi ! Le printemps est superbe. On a déjà enlevé la porte du balcon ; le petit chemin qui mène à l’orangerie était tout à fait sec il y a quatre jours ; les pêchers sont en pleine fleur ; il ne reste plus que quelques plaques de neige par-ci par-là ; les hirondelles sont arrivées, et Lioubotchka m’a apporté aujourd’hui les premières fleurs. Le docteur dit que dans trois jours je serai tout à fait remise et que je pourrai aller me chauffer au soleil et respirer le bon air du printemps. Adieu, cher ami ; je t’en prie, ne t’inquiète ni de ma maladie ni de tes perles, Termine au plus vite tes affaires et reviens-nous pour tout l’été avec les enfants. Je fais des plans magnifiques pour cet été ; il ne nous manque que toi pour les exécuter. »

La suite de la lettre était écrite en français, d’une main inégale et presque illisible, sur un autre bout de papier.

« Ne crois pas ce que je t’ai écrit de ma maladie. Personne ne se doute à quel point elle est sérieuse. Moi seule, je sais que je ne m’en relèverai pas. Ne perds pas une minute ; viens et amène les enfants. Peut-être pourrai-je les embrasser et les bénir une dernière fois : c’est mon seul et dernier désir. Je sais quel coup cruel je te porte ; mais, plus tôt ou plus tard, par moi ou par les autres, tu l’aurais toujours reçu. Tâchons de supporter ce malheur avec courage et d’espérer en la miséricorde de Dieu. Soumettons-nous à sa volonté.

« Ne t’imagine pas que ce que je t’écris là soit le délire d’une imagination malade : au contraire, mes idées sont parfaitement nettes en ce moment et je suis tout à fait calme. Ne te berce pas du vain espoir que ce soient les pressentiments vagues et trompeurs d’une âme craintive. Non ; je sens, je sais (et je le sais, parce qu’il a plu à Dieu