Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/88

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de me le révéler) que je n’ai plus que très peu de temps à vivre.

« Mon affection pour toi et pour les enfants finira-t-elle avec ma vie ? Cela ne se peut pas : mon cœur sent trop vivement, en ce moment même, pour croire que cet amour sans lequel je ne comprendrais pas la vie puisse jamais cesser d’être. Mon âme ne peut pas exister sans mon amour pour vous, et je sais qu’elle existera éternellement, ne fût-ce que parce qu’un sentiment pareil ne pourrait pas naître s’il devait jamais finir.

« Je ne serai plus avec vous, mais je suis fermement persuadée que mon amour ne vous quittera jamais, et c’est une pensée si consolante, que j’attends la mort paisiblement et sans crainte.

« Oui, je suis calme, et Dieu sait que j’ai toujours regardé la mort comme le passage à une vie meilleure ; mais d’où vient que les larmes m’étouffent ?… Pourquoi priver des enfants de leur chère maman ? Pourquoi te porter un coup si terrible et si inattendu ? Pourquoi est-ce que je meurs, quand votre affection me rendait si profondément heureuse ?

« Que sa sainte volonté soit faite !

« Les larmes m’empêchent de continuer. Je ne te reverrai peut-être pas. Je te remercie, mon précieux ami, de tout le bonheur que tu m’as donné dans cette vie. Je demanderai là-haut à Dieu de t’en récompenser. Adieu, mon ami chéri ; souviens-toi que, si je n’y suis plus, mon amour sera toujours avec toi. Adieu, Volodia ; adieu, mon ange, mon Benjamin, mon petit Nicolas !

« Est-ce qu’ils m’oublieront !… »


À la lettre était joint un billet de Mimi en français et ainsi conçu :


« Les tristes pressentiments dont cet ange vous parle n’ont été que trop confirmés par le docteur. Hier soir, elle