Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/97

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Catherine se tenait à côté de sa mère, et sa mine allongée ne l’empêchait pas d’être fraîche et rose comme toujours. La nature franche de Volodia paraissait jusque dans son chagrin. Tantôt il s’absorbait dans ses pensées et regardait fixement un objet quelconque ; tantôt sa bouche se tordait subitement, et il se hâtait de se signer et de se prosterner. Tous les étrangers qui assistaient à l’enterrement m’étaient insupportables. Les compliments de condoléance qu’ils adressaient à mon père, « qu’elle serait mieux là-haut, qu’elle n’était pas faite pour cette terre », me causaient une sorte d’irritation.

« Quel droit ont-ils, pensais-je, de parler d’elle et de la pleurer ? Quelques-uns d’entre eux nous ont appelés orphelins. Comme si nous avions besoin d’eux pour savoir que des enfants qui n’ont plus de mère s’appellent des orphelins ! Ils auront voulu être les premiers à nous donner ce nom, exactement comme on se presse pour être le premier à appeler une nouvelle mariée « madame ».

Dans le coin le plus reculé de la salle, se cachant derrière la porte ouverte de l’office, une vieille femme aux cheveux gris et au dos voûté était agenouillée. Les mains jointes et les yeux au ciel, elle ne pleurait pas : elle priait. Son âme s’élevait vers Dieu ; elle lui demandait de la réunir bientôt à celle qu’elle avait aimée plus que tout au monde, et elle espérait fermement que Dieu l’exaucerait bientôt.

« Voilà celle qui l’aimait véritablement, » pensai-je, et j’eus honte de moi-même.

Le service était terminé. Le visage de la morte était découvert, et tous les assistants, à l’exception de nous, s’approchèrent l’un après l’autre pour la baiser.

Presque en dernier, se trouva une paysanne tenant dans ses bras une jolie petite fille d’environ cinq ans. Dieu sait pourquoi elle l’avait amenée là ! Je venais de laisser tomber par mégarde mon mouchoir humide et je me baissais pour le ramasser, quand j’entendis un cri perçant,