La veille de l’enterrement, après le dîner, j’avais eu envie de dormir et j’étais allé dans la chambre de Nathalie Savichna avec l’intention de m’étendre sur son bon lit de plumes, sous le chaud couvre-pieds piqué. En entrant, je la trouvai couchée et ayant l’air de dormir. Au bruit de mes pas, elle se souleva, ôta un fichu de laine destiné à garantir sa tête des mouches, arrangea son bonnet et s’assit sur le bord du lit.
Il m’était déjà arrivé souvent d’aller après le dîner faire un somme dans sa chambre. Elle devina donc pourquoi j’étais venu et me dit en faisant un mouvement pour se lever : « Eh bien ! mon petit pigeon est venu se reposer ? Couchez-vous.
— Quelle idée, Nathalie Savichna, dis-je en l’arrêtant par le bras. Ce n’est pas du tout pour ça… J’étais venu… Vous êtes fatiguée ; couchez-vous plutôt.
— Non, mon petit père, j’ai bien assez dormi, me dit-elle (je savais qu’elle ne s’était pas couchée depuis trois jours). Et puis ce n’est pas le moment de dormir, » ajouta-t-elle avec un profond soupir.
J’avais envie de causer un peu de notre chagrin avec Nathalie Savichna. Je connaissais sa sincérité et son attachement et il m’aurait été doux de pleurer avec elle.
« Nathalie Savichna, dis-je après un instant de silence en m’asseyant sur le lit, est-ce que vous vous y attendiez ? »
Elle me regarda d’un air perplexe et curieux, ne comprenant pas pourquoi je lui demandais cela.
« Qui pouvait s’y attendre ? repris-je.
— Ah ! mon petit père, dit-elle en me jetant un regard singulièrement douloureux et tendre, on ne pouvait pas s’y attendre, et je ne peux pas encore y penser. Je suis vieille ; il y a longtemps que mes vieux os devraient se reposer ; et c’est moi qui les enterre tous : le vieux barine votre grand-père, d’éternelle mémoire, le prince Nicolas Mikhaïlovitch, ses deux frères, sa sœur Annouchka, je les