Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/130

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vage. Le jeune homme revint : il trouva la place vide, ni aoul, ni mère, ni frère, ni cabane ! Un arbre seul était debout. Il s’assit sous l’arbre et pleura. Il était seul comme toi et il se mit à chanter : Aï ! daï ! dalalaï ! »

Le vieux répéta plusieurs fois ce refrain mélancolique. Après le dernier, couplet il saisit une carabine accrochée au mur, s’élança hors de la cabane et déchargea dans la cour les deux canons. Puis il répéta d’un ton plus triste encore : « Aï ! daï ! dalalaï ! » puis se tut.

Olénine l’avait suivi sur le perron et regardait en silence le ciel sombre et étoilé du côté où les coups de fusil étaient partis. La cabane du khorounji était éclairée. Les jeunes filles étaient groupées dans la cour, près du perron, sous les fenêtres, et couraient sans cesse du vestibule dans le garde-manger. Plusieurs Cosaques s’élancèrent hors du vestibule et répondirent par les cris d’usage aux coups de fusil et au refrain de Jérochka.

« Pourquoi n’es-tu pas aux fiançailles ? demanda Olénine.

— Dieu les bénisse ! Dieu les bénisse ! répondit le vieux, qu’on avait probablement blessé de quelque manière ; je n’aime pas cela. Ah ! quelle engeance ! Rentrons. Ils n’ont qu’à s’amuser de leur côté et nous du nôtre. »

Olénine rentra.

« Loukachka a-t-il l’air heureux ? demanda-t-il, et ne passera-t-il pas chez moi ?

— Loukachka ?… non ! on lui a rapporté que je t’accointais avec la fille, répondit le vieux à voix basse. Mais la fille sera à nous si nous le voulons ! Ne ménage pas l’argent, et elle est à nous ! Je t’arrangerai l’affaire, vrai !

— Non, diadia, l’argent n’y peut rien, elle ne m’aime pas. Il vaut mieux ne pas en parler.

— Pauvres orphelins que nous sommes, personne ne nous aime ! » dit Jérochka, et il se prit à pleurer.

Olénine prit plus de vin que de coutume en écoutant