Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Olénine en prit encore avec Jérochka ; mais, plus il prenait du vin, plus il sentait le poids de son cœur s’alourdir. Les deux vieux devenaient bruyants. Les jeunes filles s’étaient blotties sur le poêle et chuchotaient en regardant boire les hommes. Olénine buvait plus que les autres. Les vieux Cosaques criaient ; la vieille tâchait de les mettre dehors et refusait de servir encore du vin.

Il était dix heures quand les convives quittèrent la chambre, demandant à Olénine d’achever la fête chez lui. Oustinka retourna chez elle en courant. Jérochka mena le vieux Cosaque chez Vania ; la vieille mère alla ranger son garde-manger ; Marianna resta seule. Olénine était frais et dispos comme s’il venait de s’éveiller ; il laissa passer les deux Cosaques et rentra dans la cabane.

Marianna se mettait au lit. Il s’approcha d’elle, voulut parler, mais la voix lui manqua. Elle s’accroupit sur le lit, repliant sous elle ses pieds et se serrant contre le mur ; elle le regardait en silence, d’un œil farouche et épouvanté : il lui faisait peur, et Olénine le sentait. Il eut honte et pitié, et pourtant il était content de lui inspirer ne fût-ce que ce sentiment.

« Marianna ! dit-il, n’auras-tu jamais pitié de moi ? Je ne saurais dire combien je t’aime ! »

Elle se recula encore vers le mur.

« C’est le vin qui parle en toi, tu n’obtiendras rien !

— Non, je ne suis pas ivre. Refuse Loukachka, je t’épouserai. »

« Qu’ai-je dit ? pensait-il en prononçant ces paroles ; les répéterai-je demain. — Oui, certes, maintenant et après ! » répondait sa conscience.

« M’épouseras-tu ? »

Elle le regardait d’un air sérieux, son effroi avait passé.

« Marianna ! je deviens fou ! ordonne, — je ferai ce que tu voudras. »

Et des paroles passionnément insensées sortaient à flots de sa bouche.