Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/165

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sera à moi. Pour un amour comme le mien, quelques paroles ne suffisent pas, il faut une existence entière. Demain tout s’expliquera ; je ne puis plus vivre ainsi ; — demain je dirai tout à son père, à Béletsky, à tout le monde !… »

Lucas, en attendant, après deux nuits d’insomnie, s’était gorgé de tant de vin que pour la première fois de sa vie il ne tenait plus sur ses jambes et dormait dans le cabaret de Jamka.


XL


Olénine se réveilla le lendemain plus tard que de coutume ; il se rappela ce qui l’attendait, et il se souvint avec transport des baisers de la veille, et des mains dures qui serraient les siennes, et des paroles « comme tes mains sont blanches » ! Il sauta à bas de son lit et comptait aller aussitôt faire sa demande en mariage, lorsqu’un tumulte inusité dans la rue le frappa : on courait, on parlait, des chevaux piétinaient. Olénine passa à la hâte sa redingote et courut sur le perron. Cinq Cosaques à cheval discutaient bruyamment ; Lucas, monté sur son beau cheval, était en avant des autres. Les Cosaques criaient tous à la fois ; on n’y comprenait rien.

« Allez au poste principal !

— Sellez et courez les rejoindre !

— Par où passer ?

— Il y a bien de quoi se disputer ! criait Lucas ; sortez par la porte du milieu.

— C’est vrai, ce sera le chemin le plus court », dit un des Cosaques, couvert de poussière et monté sur un cheval robuste.

Le visage de Lucas était rouge et enflé par suite des excès de la veille ; son bonnet avait glissé sur la nuque.