Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/167

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jour-là, tout est immobile et silencieux. La journée était grise, malgré le soleil levant, l’air doux ; pas un souffle, — on n’entendait que le pas des chevaux et leur ébrouement. Les Cosaques avançaient en silence ; leurs armes ne faisaient aucun bruit : un Cosaque aurait honte d’une arme à cliquetis. Deux Cosaques de la stanitsa les rejoignirent sur la route et échangèrent deux ou trois mots. Le cheval de Lucas butta contre une herbe sèche : c’était un funeste présage. Les Cosaques s’entre-regardèrent et se détournèrent bien vite sans relever l’incident, qui était en ce moment d’une gravité insolite. Lucas fronça les sourcils, serra les dents, tira violemment la bride et leva sa nagaïka ; la noble bête se cabra, comme si elle voulait s’envoler ; Lucas lui donna deux ou trois coups, et le cheval, mordant le mors, et la queue au vent, se cabra plus violemment encore et se détacha du groupe.

« Oh ! la belle bête ! dit le khorounji.

— Un vrai lion », dit un des anciens.

Les Cosaques continuaient leur route tantôt au pas, tantôt au trot, et ce petit incident rompit seul le silence solennel des cavaliers.

Sur l’espace de huit verstes ils ne rencontrèrent qu’une kibitka nogaï, une charrette couverte qui avançait lentement. C’était un Nogaï nomade avec sa famille ; deux femmes rassemblaient du fumier pour en faire du kiziak. Le khorounji, connaissant mal leur langue, les questionna sans pouvoir se faire comprendre des femmes, intimidées et terrifiées.

Lucas s’approcha et les salua du dicton d’usage ; les femmes, heureuses de comprendre, lui répondirent volontiers, comme à un compatriote.

« Aï, aï, aï, cop Abrek ! » disaient-elles d’un ton plaintif, montrant au doigt le but où se dirigeaient les Cosaques.

Elles voulaient dire qu’il y avait beaucoup d’Abreks en embuscade. Olénine ne connaissait de pareilles expéditions que par les récits de Jérochka, et il tenait à ne pas rester