Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/169

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Après quelques pas ils aperçurent Gorka rechargeant son fusil derrière un monticule de sable : il s’amusait à tirer sur les Abreks blottis derrière un autre monticule.

Une balle siffla. Le khorounji, blême, perdait la tête. Lucas descendit de cheval, jeta la bride à l’un des Cosaques et alla vers Gorka. Olénine le suivit. Deux balles sifflèrent à leurs oreilles. Lucas se retourna en riant vers Olénine et se baissa.

« On te tuera, Andréitch, dit-il, va-t’en ; tu n’as que faire ici. »

Mais Olénine voulait voir les Abreks ; il aperçut leurs bonnets et leurs carabines à deux cents pas ; puis, une légère fumée, et une balle siffla de nouveau. Les Abreks se tenaient dans un marais au pied d’un monticule. Olénine était stupéfait de l’endroit qu’ils avaient choisi : c’était une plaine comme le reste des steppes, et la présence des Abreks la signalait singulièrement à l’attention de l’ennemi, et pourtant Olénine se disait qu’ils n’avaient pu choisir un autre endroit. Lucas revint vers son cheval : Olénine ne le quittait pas.

« Il faut une arba avec du foin, dit Lucas ; autrement nous serons tous tués ; prenons le chariot du Nogaï, là, derrière la colline. »

Le khorounji et l’ouriadnik exécutèrent son ordre. On amena le chariot, les Cosaques se blottirent derrière. Olénine gravit la colline, d’où il pouvait voir ce qui se passerait. Le chariot avançait, les Cosaques le suivaient.

Les Abreks, au nombre de neuf, étaient à genoux, serrés l’un contre l’autre, sur une ligne, et ne tiraient pas.

Le silence était profond ; tout à coup on entendit s’élever un chant étrange et lugubre dans le genre de l’« Aida-la-laï » de Jérochka : les Tchétchènes, sachant qu’ils ne pouvaient échapper aux Cosaques, s’étaient liés l’un à l’autre par de fortes courroies pour ne pas céder à la tentation de fuir ; ils avaient chargé leurs carabines et entonnaient leur chant de mort.