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SÉBASTOPOL EN MAI 1855


Six mois se sont écoulés depuis que la première bombe lancée des bastions de Sébastopol a labouré la terre en la rejetant sur les travaux de l’ennemi ; depuis lors, des milliers de bombes, de boulets et de balles n’ont cessé de voler des bastions dans les tranchées, des tranchées sur les bastions, et l’ange de la mort n’a pas cessé de planer au-dessus d’eux.

L’amour-propre de milliers d’êtres a été froissé chez les uns, satisfait chez les autres, ou apaisé dans les étreintes de la mort ! Que de cercueils roses sous des draps de toile !… Et toujours le même grondement sous les bastions ; de leur camp, les Français, poussés par un sentiment involontaire d’anxiété et de terreur, examinent par une soirée limpide le sol jaunâtre et défoncé des bastions de Sébastopol, sur lesquels vont et viennent les noires silhouettes de nos matelots ; ils comptent les embrasures d’où sortent les canons de fonte à la mine farouche ; dans la guérite du télégraphe, un sous-officier observe à l’aide d’une lunette d’approche les figures des soldats ennemis, leurs batteries, leurs tentes, les mouvements de leurs colonnes sur le Mamelon-Vert et les fumées qui montent des tranchées : c’est avec la même ardeur que converge des différentes parties du monde vers cet endroit fatal une foule com-