Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/204

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dressa et se découvrit devant lui : ce jeune homme était très fier depuis qu’il avait passé sa première nuit dans le blindage du cinquième bastion, ce qui le transformait en héros à ses propres yeux.


III


À peine Mikhaïlof eut-il franchi le seuil de la maison, que des pensées toutes différentes se présentèrent à son esprit. Il revit sa petite chambre, où la terre battue tenait lieu de plancher, ses fenêtres déjetées, dont les carreaux absents étaient remplacés par du papier, son vieux lit, au-dessus duquel était cloué sur le mur un tapis représentant une amazone, les deux pistolets de Toula accrochés au chevet ; et, à côté, un second lit malpropre avec une couverture d’indienne, appartenant au junker, qui partageait son logement ; il vit son valet Nikita, qui se leva du sol, où il était accroupi, en grattant sa tête ébouriffée de cheveux graisseux ; il vit son vieux manteau, ses bottes de rechange et le paquet préparé pour la nuit au bastion, un linge qui laissait passer le bout d’un morceau de fromage et le goulot d’une bouteille remplie d’eau-de-vie. Tout à coup il se souvint qu’il devait mener sa compagnie cette nuit même dans les casemates.

« Je serai tué, c’est sûr, se dit-il, je le sens ; d’autant plus que je me suis proposé moi-même, et celui qui se propose est toujours certain d’être tué. Et de quoi est-il malade, ce Nepchissetzky maudit ? Qui sait ? il ne l’est peut-être pas du tout ! Et, grâce à lui, on tuera un homme ; on le tuera, pour sûr ! Par exemple, si je ne suis pas tué, je serai porté sur la liste de proposition. J’ai bien vu la satisfaction du colonel lorsque je lui ai demandé la permission de remplacer Nepchissetzky, s’il était malade. Si ce n’est pas le grade de major, ce sera la croix de