Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/215

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— À l’instant, Votre Noblesse ; la tranchée doit lui être restée, il avait le dessus…

— Comment n’avez-vous pas eu honte ? Abandonner la tranchée, c’est affreux ! dit Galtzine, irrité par l’indifférence de cet homme.

— Et le moyen, quand il a la force ?

— Eh ! Votre Noblesse, dit alors un soldat porté sur un brancard, comment ne pas abandonner quand il nous a tués tous ! Ah ! si la force était à nous, nous n’aurions jamais abandonné ! Mais que faire ? Je venais d’en piquer un quand j’ai été frappé… Oh ! doucement, frères, doucement ! Oh ! par pitié ! gémissait le blessé.

— Voyons, il revient beaucoup trop de monde, dit Galtzine, arrêtant de nouveau le grand soldat avec les deux fusils. Pourquoi t’en retournes-tu, toi, hein ? Arrête ! »

Le soldat obéit et ôta son bonnet de la main gauche.

« Où vas-tu ? fit sévèrement le prince, et qui t’a permis, vauri… » Mais, en approchant plus près, il vit que le bras droit du soldat était couvert de sang jusqu’au coude.

« Je suis blessé, Votre Noblesse.

— Blessé ? où ?

— Ici, d’une balle, — et le soldat montra son bras ; — mais là je ne sais pas ce qui m’a fracassé, là. »

Il baissa la tête et laissa voir sur la nuque des mèches de cheveux collés ensemble par le sang coagulé.

« Et ce fusil, à qui est-il ?

— C’est une carabine française, Votre Noblesse ; je l’ai enlevée. Je ne serais pas revenu, mais il fallait conduire ce petit soldat, il peut tomber. » Et l’homme indiqua un fantassin qui marchait à quelques pas devant eux, appuyé sur son arme et traînant avec peine la jambe gauche.

Le prince Galtzine eut cruellement honte de ses injustes soupçons, et, sentant qu’il rougissait, il se détourna ; sans questionner ni surveiller davantage les blessés, il se dirigea vers l’ambulance.

Se frayant avec peine un chemin jusqu’au perron, à tra-