Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/219

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tout près de lui et s’enfonça dans la tranchée ; un obus qui s’éleva dans l’air paraissait voler droit sur sa poitrine : saisi tout à coup d’épouvante, il franchit quelques pas en courant et se jeta par terre ; lorsque l’obus eut éclaté assez loin, il éprouva contre lui-même une violente irritation et se leva ; il regarda autour de lui si personne ne l’avait vu se coucher : il n’y avait personne.

Une fois que la peur s’empare de l’âme, elle ne cède pas facilement la place à un autre sentiment. Lui qui se vantait de ne jamais courber la tête, il traversa la tranchée à pas rapides et presque à quatre pattes.

« Ah ! c’est mauvais signe, pensa-t-il comme son pied buttait, je serai tué, c’est sûr ! »

Il respirait difficilement, il était baigné de sueur, et il s’en étonnait sans faire le moindre effort pour dominer son effroi. Tout à coup, au bruit d’un pas qui venait à lui, il se redressa vivement, releva la tête, fit crânement sonner son sabre et ralentit sa marche. Il croisa un officier de sapeurs et un matelot ; le premier lui cria : « À terre ! » en indiquant le point lumineux d’une bombe qui approchait en redoublant de vitesse et d’éclat.

Le projectile vint s’abattre à côté de la tranchée ; au cri de l’officier, Kalouguine fit un léger salut involontaire, puis il continua son chemin sans sourciller.

« En voilà un brave ! » dit le matelot, qui regardait avec sang-froid la chute de la bombe.

Son œil exercé avait calculé que les éclats ne tomberaient pas dans la tranchée.

« Il ne veut pas se coucher ! »

Pour atteindre l’abri blindé du commandant du bastion, Kalouguine n’avait plus à traverser qu’un espace découvert, lorsqu’il se sentit de nouveau envahi par une peur stupide ; son cœur battit à se rompre, le sang lui monta à la tête, et ce ne fut que par un violent effort sur lui-même qu’il atteignit l’abri en courant.

« Pourquoi êtes-vous si essoufflé ? lui demanda le