Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/220

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général après qu’il eut transmis l’ordre dont il était porteur.

— J’ai marché très vite, Excellence.

— Puis-je vous offrir un verre de vin ? »

Kalouguine but une rasade et alluma une cigarette. L’engagement était terminé, mais une forte canonnade continuait des deux côtés. Dans le « blindage » se trouvaient réunis le commandant du bastion et quelques officiers, parmi lesquels Praskoukine ; ils se communiquaient les détails de l’affaire. Le réduit était tapissé d’un papier peint à fond bleu, meublé d’un canapé, d’un lit, d’une table couverte de paperasses, orné d’une pendule accrochée au mur et d’une image devant laquelle brûlait la petite lampe. Assis dans cette chambre confortable, Kalouguine contemplait tous ces indices d’une vie tranquille ; il mesurait du regard les grosses solives du plafond, épaisses d’une archine ; il écoutait le bruit de la canonnade, assourdi par les blindages, et ne pouvait plus comprendre comment il s’était laissé aller deux fois à d’impardonnables accès de faiblesse. Irrité contre lui-même, il aurait voulu de nouveau s’exposer au danger pour se mettre à l’épreuve.

Un officier de marine, avec une grande moustache et une croix de Saint-George sur sa capote d’état-major, vint en ce moment prier le général de lui donner des ouvriers pour remettre en état deux embrasures ensablées dans la batterie.

« Je suis bien aise de vous voir, capitaine, dit Kalouguine au nouveau venu ; le général m’a chargé de vous demander si vos canons peuvent tirer à mitraille sur les tranchées.

— Une seule pièce,… répondit le capitaine d’un air morose.

— Allons les examiner ! »

L’officier fronça les sourcils et grommela :

« Je viens de passer toute la nuit là-bas, je suis venu prendre un peu de repos ! Ne pourriez-vous pas y aller