seul ? Vous y trouverez mon second, le lieutenant Kartz, qui vous montrera tout. »
Le capitaine commandait depuis six mois cette même batterie, une des plus dangereuses ; depuis le commencement du siège, et bien avant la construction des abris blindés, il n’avait pas quitté le bastion. Il s’était fait parmi les marins une réputation de courage à toute épreuve : aussi son refus surprit-il vivement Kalouguine.
« Voilà les réputations ! pensa ce dernier. — Alors j’irai seul, si vous le permettez », ajouta-t-il tout haut d’un ton railleur, auquel l’officier ne prêta aucune attention.
Kalouguine oubliait que cet homme comptait six mois entiers d’existence sur le bastion, tandis que lui, tout compte fait, n’y avait, à différentes reprises, passé qu’une cinquantaine d’heures. La vanité, le désir de briller, d’obtenir une récompense, de se faire une réputation, le plaisir même du danger, l’aiguillonnaient encore, tandis que le capitaine était devenu indifférent à tout cela ! Celui-là aussi avait paradé, fait acte de courage, risqué inutilement sa vie, espéré et reçu des récompenses, établi sa réputation de brave officier ; mais aujourd’hui ces stimulants avaient perdu leur pouvoir sur lui, il envisageait les choses autrement ; comprenant bien qu’il lui restait peu de chances d’échapper à la mort, après un séjour de six mois sur les bastions, il ne se risquait plus à la légère et se bornait à remplir strictement son devoir ; si bien que le jeune lieutenant nommé auprès de lui à la batterie depuis huit jours seulement, et Kalouguine, auquel ce lieutenant la montrait en détail, semblaient dix fois plus braves que le capitaine. Enchérissant l’un sur l’autre, ils se penchaient en dehors des embrasures et grimpaient sur les banquettes.
Sa visite terminée et comme il retournait au blindage, Kalouguine se heurta dans l’obscurité au général, qui se rendait à l’échauguette, suivi de ses officiers d’ordonnance.
« Capitaine Praskoukine, commanda le général, descendez, je vous prie, aux logements de droite ; vous y