Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/26

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D’autres, accablés par la chaleur, à demi nus, lavaient leur linge ; les autres tressaient des bridons, ou bien, couchés sur le sable brûlant, chantonnaient à demi-voix. L’un d’eux, au visage maigre et pâle, était étendu ivre mort près de la cabane, dont l’ombre l’avait deux heures plus tôt préservé des rayons du soleil, qui, en ce moment, donnait en plein sur son visage.

Loukachka montait la garde sur l’échauguette : c’était un grand et beau garçon de vingt ans ; ses formes anguleuses, comme celles d’un très jeune homme, accusaient une grande force physique et morale. Bien que depuis peu au service, on voyait, à l’expression de son visage et au calme de son maintien, qu’il s’était déjà approprié la tenue fière d’un guerrier et qu’il était pénétré de sa dignité de Cosaque et d’homme d’armes. Son large caftan était un peu usé, son bonnet à poil rejeté sur la nuque, à la tchetchène. Son costume n’était pas riche, mais il le portait avec élégance, élégance qui consiste à imiter le Tchétchène. Un véritable djighite doit avoir de belles armes ; quant à son uniforme, il peut être usé et porté avec négligence. Un caftan déchiré joint à de belles armes donne au Cosaque un certain cachet que n’acquiert pas qui veut, et que Loukachka possédait au suprême degré : tout montagnard reconnaissait en lui le véritable djighite. Ses mains, rejetées en arrière, étaient croisées sur son bonnet à poil ; il clignait des yeux en regardant l’aoul lointain. Ses traits n’étaient pas réguliers, mais il frappait à première vue par sa vigoureuse structure, son air intelligent, ses sourcils noirs, et l’on s’écriait involontairement : Quel beau garçon !

« Que de femmes, que de femmes dans l’aoul ! » dit-il d’un ton bref et montrant ses dents, d’une blancheur éblouissante.

Nazarka, qui était couché sous l’échauguette, leva précipitamment la tête :

« Elles vont sans doute à la fontaine, dit-il.