Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/262

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pain et de caviar étaient tombées çà et là ; il comptait avec attention un paquet d’assignats. Mais, avant de le mettre en scène, il nous est indispensable d’examiner de près l’intérieur de son campement, ses occupations et sa manière de vivre : la nouvelle baraque était grande, solidement et commodément construite, pourvue de tables et de bancs gazonnés comme on ne les construit que pour les généraux, et, afin d’empêcher le feuillage de tomber, trois tapis de mauvais goût, quoique neufs, mais probablement fort chers, étaient tendus sur les côtés et au-dessus de la bâtisse. Sur un lit de fer placé sous le tapis principal, représentant l’éternelle amazone, on voyait une couverture rouge d’une étoffe pelucheuse, un oreiller souillé, déchiré, une pelisse de genette ; sur une table, pêle-mêle un miroir dans un cadre d’argent, un bougeoir, une brosse du même métal d’une malpropreté effrayante, un peigne en corne cassé, plein de cheveux graisseux, une bouteille de liqueur ornée d’une énorme étiquette rouge et or, une montre de poche en or avec le portrait de Pierre Ier, des plumes dorées, des boîtes contenant des capsules, une croûte de pain, de vieilles cartes jetées en désordre, et enfin, sous le lit, des bouteilles, les unes vides, les autres pleines. Cet officier était chargé de veiller au train et à la nourriture des chevaux. Un ami à lui, s’occupant d’opérations financières, partageait sa demeure et dormait en ce moment dans la tente, pendant qu’il réglait les comptes du mois avec l’argent de la couronne ; son extérieur était agréable et martial : une grande taille, une grande moustache et une corpulence de bon aloi le distinguaient ; mais il y avait en lui deux choses déplaisantes qui sautaient tout de suite aux yeux : d’abord une perpétuelle transpiration de la figure, jointe à une bouffissure qui cachait à peu près ses petits yeux gris et lui donnait l’apparence d’une outre pleine de porter, et ensuite une malpropreté extrême, qui s’étendait de ses cheveux rares et gris jusqu’à ses grands pieds nus chaussés de pantoufles fourrées d’hermine.