Aller au contenu

Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Si je dois mourir, c’est que je suis inutile ! Alors, Seigneur, que ta volonté soit faite ! et qu’elle s’accomplisse plus vite ! Mais, si le courage et la fermeté qui me manquent me sont nécessaires, épargne-moi la honte et le déshonneur, que je ne pourrai pas supporter, et enseigne-moi ce que je dois faire pour exécuter ta volonté ! »

Son âme d’enfant faible et terrifiée se fortifia, se rasséréna tout à coup et plongea dans des horizons nouveaux, larges et lumineux ; il pensa à mille choses, il éprouva mille sensations pendant la courte durée de ce sentiment, puis il s’endormit tranquille et insouciant à la sourde rumeur du bombardement et des vitres qui tremblaient.

Seigneur ! toi seul as entendu, toi seul connais ces prières simples mais ardentes et désespérées de l’ignorance, du repentir confus demandant la guérison du corps, la purification de l’âme, prières qui, de ces lieux habités par la mort, montaient vers toi, — à commencer par le général pressentant avec terreur son approche, et qui, une seconde auparavant, ne rêvait que de porter le Saint-George au cou, et à finir par le simple soldat tombé sur le sol nu de la batterie Nicolas, en te suppliant d’accorder à ses souffrances la récompense inconsciemment entrevue.


XIV


L’aîné des Koseltzoff, ayant rencontré dans la rue un soldat de son régiment, se fit accompagner par lui au cinquième bastion.

« Serrez-vous bien contre le mur. Votre Noblesse, lui dit le soldat.

— Pourquoi ?

— C’est dangereux. Votre Noblesse, il passe déjà par-dessus », répondit le soldat, écoutant le sifflement du boulet frappant d’un coup sec le côté opposé de la route durcie ;