Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/281

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— C’est bien. L’enseigne Zaïtzeff va vous passer la neuvième compagnie, celle que vous avez déjà commandée ; vous allez recevoir l’ordre du jour : ayez l’obligeance de m’envoyer en sortant l’aide de camp du régiment. » Et son chef, lui faisant de la tête un léger salut, lui donna par là même à entendre que l’audience était terminée.

En sortant de là, Koseltzoff marmotta quelques paroles indistinctes et haussa les épaules à plusieurs reprises : on aurait pu croire qu’il se sentait mal à l’aise ou qu’il était irrité, non pas précisément contre son chef de régiment, mais plutôt contre lui-même et contre tout ce qui l’entourait.


XV


Avant d’aller retrouver ses officiers, il alla à la découverte de sa compagnie. Les parapets construits avec des gabions, les tranchées, les canons devant lesquels il passait, jusqu’aux éclats et aux obus contre lesquels il trébuchait et que le feu des décharges éclairait sans cesse ni trêve, tout lui était familier et s’était profondément gravé dans sa mémoire trois mois auparavant, pendant les quinze jours qu’il avait vécu sur le bastion ; malgré le côté lugubre de ces souvenirs, un certain charme inhérent au passé s’en dégageait, et c’est avec un plaisir attendri qu’il reconnaissait les lieux et les choses, comme si ces deux semaines n’avaient été remplies que d’impressions agréables. Sa compagnie était placée le long du chemin couvert qui menait au sixième bastion.

Entré dans l’abri blindé ouvert d’un côté, il y trouva tant de soldats, qu’il put à peine s’y frayer un passage. À l’une des extrémités brûlait une misérable chandelle qu’un soldat couché tenait au-dessus d’un livre que son camarade lisait en épelant : autour de lui, dans le demi-jour d’une atmo-