Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/30

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« Holà ! Loukachka ! cria la voix perçante de Nazarka du fond du taillis, les Cosaques vont souper. »

Il parut sur le sentier, se frayant un chemin à travers les ronces et portant sous le bras un faisan vivant.

« Oh ! fit Lucas, d’où as-tu ce beau coq ? c’est probablement le mien. »

Nazarka était du même âge que Lucas et était entré au service au printemps, en même temps que lui. Ils étaient voisins et camarades. Nazarka était petit, laid, maigre ; sa voix clapissante faisait tinter les oreilles. Lucas était assis sur l’herbe, à la tatare, et veillait à ses filets.

« Je ne sais, c’est peut-être le tien.

— Tu l’auras pris dans le trou près de la vieille tchinara ; certes, c’est le mien, je l’ai posé près des lacs. »

Loukachka se leva, examina le faisan et passa la main sur la tête bigarrée du coq, qui roulait des yeux épouvantés.

« Nous en ferons un pilau ; tords-lui le cou et plume-le.

— Est-ce que nous allons le manger, ou bien le donneras-tu à l’ouriadnik ?

— Inutile ! il en a assez.

— Mais je n’aime pas à tuer ces bêtes, dit Nazarka.

— Je m’en charge. Et Lucas tira un petit couteau de dessous son poignard et en griffa la gorge du faisan ; l’oiseau tressaillit, mais n’eut pas le temps d’étendre ses ailes, que sa tête ensanglantée pendait déjà de côté.

— Voilà ! » dit Lucas jetant l’oiseau sur l’herbe.

Nazarka frissonna.

« Sais-tu, dit-il en relevant le faisan, que ce grand diable (il voulait dire l’ouriadnik) nous envoie de nouveau au secret[1] ? C’est le tour de Thomouchkine, et il l’a envoyé chercher de l’eau-de-vie. C’est sur nous qu’il pèse de tout son poids. Que de nuits nous avons déjà fait le service ! »

  1. Monter la garde de nuit à un endroit secret pour épier l’ennemi.