Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Attends donc, Nazarka, avec la nacelle ! criait Touriadnik.

— Imbécile ! prends ton poignard ! il respire peut-être encore ! criait un autre Cosaque.

— Bêtise ! » répondait Lucas, ôtant son haut-de-chausses. Il se signa et s’élança dans l’eau, la faisant rejaillir de tous côtés ; il plongea, reparut à la surface et nagea vers les bas-fonds, fendant le Térek de ses bras blancs et vigoureux. Les Cosaques restés sur la rive parlaient à haute voix. Trois hommes à cheval étaient allés faire la ronde. Nazarka traînant la nacelle parut au détour du chemin. Lucas se dressa sur le banc de sable et secoua le cadavre. « Il est bien mort ! » cria-t-il d’une voix perçante.

La balle avait frappé à la tête le Tchétchène. Il était vêtu d’un haut-de-chausses bleu foncé, d’une chemise et d’un caftan ; il portait un fusil et un poignard attachés sur son dos, et, par-dessus, cette énorme branche qui avait commencé par induire en erreur Lucas.

« Voilà comme on pêche les carpes ! dit un des Cosaques groupés autour du cadavre, qu’on avait tiré de l’eau et étendu sur l’herbe.

— Qu’il est jaune ! disait quelqu’un.

— Où les nôtres sont-ils allés chercher les Abreks ? dirait un autre ; ils sont probablement de l’autre côté de l’eau ; si celui-ci n’était pas l’éclaireur, pourquoi se serait-il hasardé seul ?

— C’est le plus entreprenant, un véritable djighite ! dit ironiquement Lucas, étanchant l’eau des habits du Tchétchène et frissonnant sans cesse ; sa barbe est peinte et taillée.

— Écoute, Loukachka, dit l’ouriadnik, qui tenait dans ses mains les armes du défunt, prends le caftan et le poignard et laisse-moi le fusil, je t’en donnerai trois pièces de monnaie. Le plomb y est, ajouta-t-il en soufflant dans le canon du fusil, je le garderai comme souvenir. »