Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/46

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gaiement dans la cour du khorounji, après une marche de cinq heures.

— Eh quoi ? Ivan Vassilitch ? » dit-il, caressant son cheval et regardant en souriant son serviteur ébouriffé et couvert de sueur, qui rangeait les effets avec lesquels il venait d’arriver.

L’aspect d’Olénine avait entièrement changé ; son visage, autrefois rasé, se couvrait de barbe, et de jeunes moustaches ; son teint, jauni par les veilles, avait cédé à un hâle vigoureux et sain ; l’élégant habit noir avait fait place à une tcherkeska usée à larges plis et à des armes. Au lieu de la chemise blanche amidonnée, il avait un bechmet en kanaouss rouge, dont le haut col serrait son cou hâlé. Il portait mal l’habit tcherkesse ; à première vue on reconnaissait en lui le Russe, et personne ne l’aurait pris pour un djighite. C’était ça et ce n’était pas ça, mais il était content de lui-même et respirait le bonheur et la santé.

« Vous riez ! dit Vania, mais parlez un peu à ces gens-là, on n’en obtient rien, ils ne répondent même pas, et tout est dit. Vania poussa impatiemment un seau de fer de côté. On dirait qu’ils ne sont pas Russes.

— Tu aurais dû t’adresser au chef de la stanitsa.

— Mais je ne sais où le trouver, répondit Vania d’un air piqué.

— Qu’est-ce qui te vexe à ce point ? demanda Olénine regardant autour de lui.

— Que le diable les emporte ! il n’y a pas de maître de maison ici ; je le demande, on répond qu’il est à je ne sais quelle kriga[1]. Quant à la vieille, c’est un vrai démon, que le Seigneur nous en préserve ! s’écriait Vania en se saisissant la tête, comment vivrons-nous ici ? Ils sont pires que des Tatares, je vous jure, bien qu’ils se disent chrétiens. Un Tatare même aurait plus de dignité. Il est allé

  1. Endroit réservé pour la pêche.