Aller au contenu

Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais pourquoi était-ce précisément ce bourg qu’il fallait occuper ? qui étaient ces Cosaques ? étaient-ils schismatiques ? de quel œil voyaient-ils les compagnies s’installer chez eux ? Qu’importe ! personne ne le savait et ne se souciait de le savoir. Les soldats, fatigués et couverts de poussière, se dispersent dans le bourg comme un essaim d’abeilles, ignorant le mécontentement visible des habitants, causant gaiement entre eux, pénétrant dans les cabanes, y déposant leurs munitions et leurs sacs, et interpellant gaiement les femmes. Les groupes se forment sur la place publique autour du chaudron, place de prédilection des soldats, qui, la pipe à la bouche, regardent le feu pétiller comme du cristal fondu dans l’air pur du soir, ou suivent des yeux la légère vapeur qui s’élève d’abord presque imperceptible vers le ciel et finit par se condenser en un nuage compact. Les soldats plaisantent entre eux et rient des us et coutumes des Cosaques, si différents de ceux des Russes. Les cours se remplissent de militaires ; on entend leurs rires bruyants et les cris perçants des femmes défendant leur propriété et refusant l’eau et les ustensiles les plus indispensables. Petits garçons et petites filles se pressent contre leurs mères en groupes serrés ; ils regardent avec un étonnement mêlé d’une certaine terreur les soldats inconnus, ou courent après eux, mais à une distance respectueuse. Les vieux Cosaques sortent de leurs demeures, s’asseyent sur le terre-plein de leurs cabanes et suivent en silence d’un regard sombre les mouvements des soldats, se demandant intérieurement ce que tout cela signifie.

Olénine était depuis trois mois porte-enseigne dans un régiment du Caucase ; on lui avait assigné un logement dans une des meilleures maisons du bourg, celle du khorounji Ilia Vassiliévitch, chez la vieille Oulita.

« Qu’allons-nous devenir, Dmitri Andréitch ? s’écriait Vania hors d’haleine et, s’adressant à Olénine, qui, monté sur un cheval de la Kabarda, acheté à Grosnoïa, entrait