Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/52

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la taille gigantesque et de la force musculaire de cet homme dont la barbe était entièrement blanche et le visage bronzé entièrement sillonné de profondes rides, creusées par l’âge et le travail. Il avait les épaules larges et les muscles fermes d’un jeune homme. Sa tête portait des cicatrices, qui se dessinaient sous ses cheveux ras ; son cou était gros, veineux et couvert de cannelures croisées comme celui d’un taureau. Ses mains calleuses étaient couvertes d’égratignures. Il enjamba prestement le seuil, se débarrassa de son fusil, le plaça dans un angle de la chambre, qu’il inspecta d’un rapide regard, appréciant chaque objet à sa juste valeur. Il avança doucement, marchant sans bruit dans ses chaussures molles et apportant avec lui une odeur forte mais non désagréable d’eau-de-vie, de poudre et de sang figé. Il salua les images, lissa sa barbe et, s’approchant d’Olénine, lui tendit sa grosse main noire.

« Cochkildy ! lui dit-il ; ça veut dire en tatare : « Je vous souhaite bonne santé ; que la paix soit avec vous ! »

— Je le sais, répondit Olénine en lui prenant la main, cochkildy !

— Hé ! tu ne sais rien du tout, que tu es bête ! s’écria Jérochka, hochant la tête d’un air de reproche ; quand on te dit cochkildy, tu dois répondre : Alla razi bossoun, « Dieu vous garde ! » et non répéter cochkildy ! Je t’instruirai. C’est ainsi qu’un de vos Russes, Ilia Masséitch, était ici ; nous étions kounak. C’était un brave garçon, buveur, brigand, chasseur, et quel chasseur encore ! et c’est moi qui l’ai initié à tout.

— Que m’enseigneras-tu ? demanda Olénine, de plus en plus intrigué.

— Je te mènerai à la chasse, à la pêche, je te montrerai les Tchétchènes ; veux-tu une bonne amie ? je t’en procurerai une. Voilà quel homme je suis ! un vrai farceur ! » Et le vieux se mit à rire. « Je suis fatigué, père, puis-je m’asseoir ? — karga ? ajouta-t-il.