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Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/83

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verre », répondit le khorounji. Il sortit sur le perron et cria : « Apporte un verre ! »

Quelques instants après, la porte s’entr’ouvrit, un bout de manche rose et une jeune main hâlée passèrent un verre, que le khorounji prit en disant quelques mots à voix basse à sa fille. Olénine versa du thé dans le verre du khorounji et donna un des siens à Jérochka.

« Je ne veux pas vous retenir, dit le khorounji, se hâtant d’avaler son thé et se brûlant les lèvres. J’ai la passion de la pêche : je ne suis ici que pour peu de temps, en vacance pour ainsi dire. Je m’en vais tenter la chance et essayer si je n’aurai pas une part aux dons du Térek[1]. J’espère que vous me ferez l’honneur de venir, un jour, prendre le vin de mes pères chez moi, selon l’usage de notre stanitsa. »

Le khorounji fit son salut, serra la main d’Olénine et sortit. Pendant qu’Olénine faisait ses préparatifs de chasse, il entendait la voix impérative du khorounji, donnant ses ordres chez lui ; au bout de quelques moments, il le vit passer devant la fenêtre, en pantalon retroussé, le caftan en loques et un filet sur l’épaule.

« Quel coquin ! dit Jérochka achevant son verre. Vas-tu réellement lui donner six monnaies ? Cela s’est-il jamais entendu ? On peut louer la plus belle cabane pour deux monnaies. Ah ! canaille ! Mais je te céderai la mienne pour trois monnaies.

— Non, répondit Olénine, j’aime mieux rester ici.

— Six monnaies ! c’est de l’argent jeté aux chiens. Eh ! eh ! Ivan ! donne du vin ! »

Il était près de huit heures quand, après avoir mangé un morceau et pris un petit verre, Olénine et le vieux sortirent.

Ils se heurtèrent contre une arba attelée devant la porte cochère. Marianna, le visage caché jusqu’aux yeux par un

  1. Les Dons du Térek, poésie très connue, de Lermontow.