Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/84

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mouchoir blanc, un bechmet passé sur sa chemise, chaussée de bottes et une longue branche à la main, entraînait les bœufs.

« Mamouchka » ! s’écria Jérochka, faisant mine de vouloir l’embrasser.

Marianna le menaça de sa branche, et enveloppa le vieux et le jeune homme d’un regard de ses beaux yeux riants.

Olénine se sentit encore plus à l’aise.

« Allons, allons donc ! dit-il, jetant son fusil sur l’épaule et sentant sur lui le regard de la jeune fille.

— Ghi ! ghi ! » résonna derrière lui la voix de Marianna, et l’arba grinça en se mettant en mouvement.

Tant que le chemin menait par le bourg, Jérochka ne cessa de parler et d’injurier le khorounji.

« Qu’as-tu contre lui ? demandait Olénine.

— C’est qu’il est ladre, je n’aime pas cela ; pour qui amasse-t-il ? Il crèvera et n’emportera rien avec lui. Il a deux maisons, il a fait un procès à son frère et lui a pris son jardin. En fait de paperasses, il est passé maître ; on vient des autres stanitsas lui faire écrire des placets ; il le fait adroitement. Pour qui amasse-t-il ? Il n’a qu’un gamin et une fille qui se mariera, et c’est tout.

— Il faut une dot à sa fille, dit Olénine.

— Une dot ? On la prendra sans dot, c’est une superbe fille, mais ce diable voudrait la marier à un homme riche. Le Cosaque Lucas, mon voisin et neveu, un beau garçon (celui qui a tué l’Abrek), la demande en mariage depuis longtemps ; eh bien ! non, il refuse, tantôt pour une raison, tantôt pour une autre : la fille est trop jeune, dit-il. Et moi, je sais ce qu’il veut : il veut qu’on le prie ! Que d’histoires il y a déjà eu à cause de cette fille ! Mais Lucas l’obtiendra ; il est le premier Cosaque de la stanitsa, c’est un djighite, il a tué un Abrek et il aura la croix.

— Qui était-ce hier soir qui embrassait cette fille pendant que je marchais par la cour ?

— Tu mens ! cria le vieux en s’arrêtant.